L’absence de la vidéo 10 minutes de liberté de Sylvie Blocher - pour des raisons techniques - est dommageable, car nous avions là un point d’accrochage important. Elle permettait d’établir un lien net entre toutes les oeuvres. L’évocation de la liberté par le biais d’un vêtement éclairait l’exposition d’un sens nouveau.
Dans l’urgence des One minute sculptures, les corps photographiés de Wurm se font objets : le nu “la tête dans le sac“ de la série Bally ou la jeune femme noire réfugiée dans son chemisier ; en contrepoint, la musulmane de Shadi Ghadirian où l’artiste iranienne dévoile une “femme à tête de louche“, percevant le monde dans le reflet d’un objet devenu visage. Ces oeuvres nous confrontent à deux types de temporalité suspendue, égrenant chacune la transfiguration du corps.
1 seconde seulement pour dire l’absolue nécessité de percevoir le rythme vif du temps, un temps comme un courant continu ; puis le vêtement/objet, comme une seconde peau, pour inscrire le corps et son image dans le présent.
Le vêtement ne peut se réduire à la sphère du privé. Il se vit collectivement. Il génère une sorte de « transe imaginaire » permettant au corps social d’émerger, à l’identité de paraître. Le temps de cette apparition dépend alors de nos capacités à percevoir les différences, les nuances, les particularismes. Si le vêtement est une seconde peau, Mickey tombe le masque et révèle la véritable nature de la bête. Sous le maquillage, le rat contamine l’univers ludique de la souris. Telle une Vanité du XVIIe siècle, telle une mesure du temps, ce dessin renvoie le spectateur à sa propre mort. Celle de l’enfant qu’il fut, celle de l’adulte sommé de convenir que sous le sympathique déguisement de Mickey se cachent des calculs effrayants.
Cyniquement saines, toutes ces oeuvres expriment un « désir communautaire » que l’humanité à l’ère de la société de consommation poursuit dans les loisirs de masse, les marques de prêt-à-porter et les tenues traditionnelles. « Il y a donc bien une esthétique du quotidien qui s’inaugure avec les objets et qui se conforte par leur mise en valeur. Mais il faut ici entendre esthétique dans le sens étymologique : ce qui me fait éprouver des sentiments, des sensations et émotions avec d’autres » (Michel Maffesoli, La contemplation du monde).
Dans ce sens, la sociabilité qu’impulsent les objets transformables de Marie-Ange Guilleminot est remarquable. Un corps a le plus souvent défini leur forme. La récupération habile des collants devenus nouvelle monnaie d’échange, les Cauris ; le Chapeau-vie aux usages multiples, la finesse de L’Oursin et de son message d’espoir nous transportent dans un monde de partage revitalisant.
Enfin, la Montre blanche de Hiroshima, monument commémoratif portable dont l’artiste dit : « je suis convaincue que la bombe atomique a inauguré une dimension différente de la temporalité. En ayant lieu, elle a marqué un instant qui ne peut être fixé, à l’intérieur du temps historique, comme événement du passé ». Là, lorsque les aiguilles blanches passent sur les aiguilles noires gravées sur le cadran, l’heure disparaît laissant place à un hors temps, au vide de l’éclair blanc.
Pour conclure, nous partagerons ce point de vue de Ghislain Mollet Vieville : « Aujourd’hui, l’art est à la fois un état d’esprit et un multimédia, il est disséminé un peu partout et ne résulte pas seulement d’une libre association d’idées, de techniques ou de disciplines, il rompt avec la notion de style ou d’autosuffisance de l’oeuvre pour s’associer à des activités qui lui sont périphériques : la mode, le design, l’architecture, l’informatique, la publicité mais aussi les jardins, le sport, la fête... Tout cela dans le dessein de légitimer des influences qui conduisent, salutairement, à remplacer le grand Art par un bel art de vivre ! ».
L’art comme une seconde peau.
Christian Pallatier Historien d’art - Directeur de Connaissance de l’art contemporain